Voilà un moment que je voulais prendre le temps d’écrire un article pour vous faire un retour sur ma pratique autour de la pédagogie des espaces.
Cela fait maintenant 4 ans que je suis en maternelle, dans une classe de TPS-PS-MS, et que je me suis lancée dans la pédagogie des espaces après la lecture de l’incontournable « Aménager les espaces pour bien apprendre, à l’école de la bienveillance ».
Cette lecture m’a amenée à revoir complètement la façon dont j’enseignais et du jour au lendemain, j’ai chamboulé toute ma classe (et mon ATSEM dont s’était la dernière année avant la retraite ^^) !
J’ai commencé par enlever pas mal de meubles, d’activités (ma classe était la caverne d’Ali Baba en termes de jeux pour maternelle, je suis sûre que je n’ai pas encore tout découvert), j’ai fait du tri.
J’ai travaillé sur le plan de ma classe avec l’aide précieuse de notre conseillère pédagogique de maternelle.
Au cours de ces 4 années, ma classe a bougé, changé, évolué plusieurs fois en cours d’année. J’ai beaucoup tâtonné. J’ai testé des aménagements pour les rechanger en voyant qu’ils ne fonctionnaient pas. J’ai créé des outils : des grilles de suivi, mon fameux carnet des espaces (qui lui aussi a évolué avec le temps pour être moins lourd à gérer pour moi, plus pratique pour les enfants), des affichages pour matérialiser les espaces.
Concrètement, voici ce que je peux tirer comme bilan après 4 ans d’expérimentation :
– Chacun de nos élèves est unique. Unique dans son développement, dans ses centres d’intérêts, dans ses interactions avec les autres, dans sa personnalité, dans ses besoins, et ceci est encore plus vrai en maternelle (vous avez déjà dû remarquer les différences entre des enfants de quelques mois d’écart à cet âge-là !). Il est donc absolument surréaliste de penser intéresser des enfants différents pour la même durée, la même consigne, sur une même activité ! Quand certains de vos élèves auront besoin de bouger, d’autres auront envie de colorier, d’autres de découvrir toutes les activités de la classe, d’autres d’écouter des histoires, d’autres encore auront simplement envie d’être auprès de vous ou de votre ATSEM, de regarder faire les autres. Les premiers temps de la mise en place de la pédagogie des espaces, je vous invite fortement à vous retirer du groupe pour vous placer en observateur. Contentez-vous de regarder vos élèves, chacun d’eux et de noter sur une fiche ce que chacun aura fait de ce temps de liberté. Vous serez certainement étonné de découvrir ce qu’ils peuvent imaginer seuls ou en regardant les autres, avec du matériel à leur disposition sans contrainte de « consigne ». Une chose est sûre, pas un de vos élèves n’aura le même parcours !
– Il faut oublier la peur de « perdre du temps ». Quand je me suis lancée, j’avais assez peur que mes élèves soient pénalisés par mes expérimentations et qu’ils prennent du retard dans leurs apprentissages. Quand on se lance dans ce genre de pédagogie, on réalise pleinement la pression que l’on se met (et que l’on nous met) pour « finir les programmes ». N’oubliez pas que si vous avez « terminé le programme », cela ne veut pas dire que vos élèves le maitrisent ! J’ai déjà eu 3 promotions d’élèves sur ce fonctionnement et aucun ne s’est retrouvé en grand retard ou en difficulté lors de son passage en GS, ils étaient même plutôt bien en avance sur les compétences attendues en fin de GS !
Ma classe est aménagée en espaces au sein desquels ils vont s’exercer sur le graphisme, la numération, les formes et grandeurs, les activités artistiques (activités plastiques et musique), la motricité fine, les fonctions exécutives (découverte avec la lecture du livre de Céline Alvarez), la phonologie, l’écriture, l’observation du vivant, l’autonomie… Le plus gros de mon travail aura donc été dans l’aménagement de l’espace, l’organisation des activités et ateliers à leur disposition. Au quotidien, mon travail consiste essentiellement à leur présenter de nouvelles activités et à les observer dans leurs activités afin d’étayer ce qu’ils sont en train de faire. Mon ATSEM s’occupe pas mal des activités plastiques nécessitant la présence de l’adulte pour guider les enfants mais elle leur présente également de nouvelles activités quand elle est libre (nous voyons ensemble avant la classe la façon dont il faut présenter les activités, le vocabulaire à employer, etc.)
Plutôt que des progressions par période, j’ai préféré opter pour un thème fil rouge sur l’année et de petits projets qui tournent autour (en littérature et en arts essentiellement). En dehors des créneaux où nous fonctionnons en espaces (un le matin jusqu’à la récréation et un l’après-midi au lever de la sieste), j’ai fait le choix de garder des temps collectifs (de la récréation du matin jusqu’à 12h) au cours desquels nous allons découvrir un album façon « Narramus » (travail du vocabulaire, de l’explicite et de l’implicite, apprendre à raconter), avoir des temps d’écoute ou de chant, faire du théâtre ou de la danse en fonction des projets, aller au jardin potager, faire un peu de motricité (jeux collectifs, parcours), aller à la bibliothèque.
Je n’ai plus de cahier journal, il ne m’est plus utile. Je le prépare uniquement lorsque je dois être remplacée notamment pour expliciter ce qui doit être fait sur le temps collectif. Cependant, j’ai remarqué que, pour les rares fois où je n’ai pu le préparer (absence pour maladie, et donc, pas le temps d’anticiper pour préparer le cahier journal), mes collègues remplaçants n’ont pas eu de difficulté à « entrer » dans le fonctionnement de la classe, les enfants étant très autonomes et partant donc en activité sans attendre l’adulte. Mon ATSEM connait parfaitement le fonctionnement de la classe et peut rapidement les guider.
Une des fausses idées qui a la vie dure est que les enfants ne peuvent rien apprendre en dehors de notre présence, de notre enseignement. Force est de constater après ces 4 ans dans ma classe que c’est totalement faux ! A partir du moment où on leur fournit un environnement riche en activités qui les stimulent, les motivent, les enfants se montrent impressionnants en termes de persévérance, d’application, d’ingéniosité. J’ai vu un petit de 2 ans et ½ passer près de 45 minutes à s’entrainer à découper parce qu’il avait décidé d’y arriver et que cette envie venait de lui ! Avez-vous déjà essayé de faire découper un enfant de cet âge pendant 45 minutes si cela ne l’intéressait pas ?
– Il y a des enfants qui passent tout le temps des espaces à jouer (jeu libre : poupées, voitures) ou à errer dans la classe sans jamais choisir d’activité. Ce sont les enfants qui nous poussent le plus dans nos retranchements d’enseignant. Laisser un enfant jouer pendant 2h sans qu’il ne fasse la moindre activité « scolaire » est quelque chose d’extrêmement difficile. Cela m’a poussée à me remettre énormément en question : que va devenir cet enfant ? Si je ne le « force » pas à travailler, il ne va rien apprendre et sera perdu en arrivant en GS. Que dira ma collègue ? Ses parents ?
Je vous le dis tout de suite, il y en a toujours, dans chaque promotion d’élèves ! Lorsque j’en ai parlé à la conseillère pédagogique maternelle de mon département, sa réponse m’a énormément aidée. Elle m’a dit tout simplement « et que penses-tu que cet enfant retiendrait des activités dirigées que tu lui proposerais ? S’il ne fait QUE jouer, c’est que c’est un besoin qu’il a. Rien de ce que tu ne pourras lui proposer ne le motivera si son seul désir est de jouer. »
Pour ces enfants, j’ai bien entendu essayé de les « forcer » à faire une activité. Comme me l’avait gentiment suggéré la conseillère, cela n’a jamais fonctionné ^^. Ces enfants passent leur temps à regarder ailleurs (leur coin jeu !!!!!! ^^), sont incapables de se concentrer sur la tâche que nous leur soumettons, n’écoutent pas la consigne et donc, ne l’appliquent pas. Et au final, même ces enfants-là ont fini par délaisser leur jeu (parfois au bout d’une looooongue période) pour venir participer avec leurs camarades !
– Enfin, j’ai pu constater une différence majeure entre les élèves qui avaient connu un fonctionnement classique en ateliers et ceux qui étaient plongés directement dans la pédagogie des espaces à leur arrivée à l’école maternelle.
Les 1ers ont passé beaucoup de temps sur l’espace imitation (poupées, cuisine, petites voitures) parce que jusqu’à présent, ces activités étaient liées à la sempiternelle phrase : « Tu iras jouer quand tu auras fini de travailler ! ».
Les 2èmes sont partis à l’exploration de l’ensemble des activités de la classe, sans distinction entre ce que l’on considère habituellement comme du jeu et ce que l’on considère comme du travail. Ils ont littéralement pris possession de la classe ! Tout était l’occasion d’exercer leur autonomie et leurs compétences. Tout était activité à tester et non pas une opposition entre travail et jeu !
Voilà pour le bilan de ces 4 années ! Pour vous donner une idée plus concrète de ce qu’est ma classe aujourd’hui, des outils que j’utilise et mets à disposition de mes élèves, je vous préparerai un nouvel article plein de photos et vidéos pour vous montrer de façon concrète l’univers que j’ai créé pour mes petits bouts !
A très vite et en attendant, je vous souhaite à toutes et tous une belle rentrée !